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Ultra Marathon France : une association, une revue, un blog, un club

mercredi 3 mai 2017

Karine Zeimer : une amazone à Belvès


La phrase mythique pour une course mythique restera longtemps : "j'ai gagné Belvès".
Ça ne parle peut-être pas à tout le monde mais pour moi on est clairement dans le mythe de la course d'ultrafond.
Je n'étais pas dans un esprit de conquête du mythe mais en préparation 24 heures, après le semi de Bourg-en-Bresse et le marathon des vins de la côte chalonnaise. J'avais défini un objectif chrono idyllique avec une fourchette entre 9h30 et 9h45. Secrètement je rêvais des 9h29'50 et mon plan d'allure avait été ainsi construit. 
Tout ne s'est pas déroulé comme prévu. 
Tout d'abord, je suis évidemment assez peu expérimentée sur cette distance puisque je n'avais couru auparavant que les 100 Km de Cléder en 11h41. J'étais ensuite passé à autre chose avec notamment un certain goût pour les courses de 6 heures, avant de me lancer dans l'expérience circadienne.
Je savais que cela irait vite mais que la course ne commencerait pas avant le 60-65ème km.

En fait, sans le vouloir vraiment, elle a commencé bien avant. Je suis partie, seule dans mon monde, en étant prudente sur l'allure, sur le tour de Belvès et le 1er kilomètre. La descente des kilomètres suivants a été plus difficile à gérer, inévitablement cela allait plus vite en toute aisance. C'est ainsi que j'ai retrouvé Emmanuel, mon suiveur vélo, à la 2ème position féminine. Une espèce d'engrenage s'est ensuite installée quand j'ai dépassé la 1ère et pris sa position. 
Au fur et à mesure des km, il y a eu deux facteurs qui ont créé l'adrénaline : la voiture qui me précédait avec son chrono géant et les officiels qui tous les 5 km allaient nous informer de l'écart avec la 2ème. Nous étions dans une sorte de jeu. Les km étaient faciles, l'écart se creusait, les ravitaillements se passaient sans pause et d'un accord impressionnant avec Manu, dans les zones et en toute facilité. 
Dès le départ nous savions que compte tenu des températures élevées annoncées, les ravitaillements liquides hors zones seraient autorisés à partir de midi. Jusque là nous étions "surveillés" sur la régularité de ceux-ci. 
Le passage au marathon s'est effectué en 3h38 et celui au 50ème en 4h20. Alors que la chaleur ne faisait que monter et que certains avaient déjà lâché j'avais plusieurs soutiens mentaux : Manu à mes côtés, la confiance en mes foulées, mon entrainement donc mon coach, ma Zabeille Run Amazones qui était venue pour m'encourager avec Philippe, notre chauffeur pour le déplacement et photographe personnel. La veille nous avions dîné au "Pourquoi pas", un signe peut-être...
Jusqu'au moment du mur de la désolation, plutôt à ce moment de l'insolation. Aucun mur ne prévenant j'ai passé les 6h de course avec 68km au compteur et le sourire. Quelques mètres ou centaines de mètres plus tard, comme si j'avais atteint "ma" distance, j'ai commencé à dire à Manu que j'avais froid.
Nous avions pourtant tout bien géré en terme d'hydratation, aidés par un rafraichissement régulier du visage et de la nuque à l'aide d'un gant de toilette. J'admets par contre ne pas supporter les casquettes. Or ce jour à Belvès les températures ont varié de -0,5° au départ du camping à sans doute 30° au soleil au zénith. 
Mon corps a donc explosé entraînant mon allure et mon moral dans une chute très​ profonde. 
Au 74ème km alors que le fond était atteint j'ai demandé à Manu d'appeler mon coach et de me le passer. À 14h52, soit 6h52 de course, je me suis mise à marcher pour passer cet appel qui n'avait d'autre but que de chasser de mon esprit cette envie de m'allonger par terre dans l'herbe et me reposer. La conversation fut difficile. Repartir aussi. Il y a eu de nombreux bas, peu de hauts ensuite, d'autant plus qu'autour de nous c'était l'hécatombe​. Sur des km et des km nous étions soit seuls soit avec des coureurs pour la plupart en difficulté. Nous faisions tous juste ce que nous pouvions. 
J'ai couru, marché aussi. J'ai envisagé de sauter dans la Dordogne. Manu a écarté notre voiture dont le chrono me déprimait car il avançait mais pas trop les kilomètres. 
L'écart avec la 2ème féminine, qui entre temps avait changé, se réduisait désormais passant à 12 minutes. Même mécanisme inversé par rapport au départ : j'avais abandonné l'idée de faire moins de 9h30 mais je tenais maintenant à ma première place. L'idée d'être rattrapée m'a donc permis de relancer un certain rythme et d'aborder encore avec le sourire le passage au 86ème et le refus de la crêpe au sucre. 
À partir de ce moment j'avais décidé de me contenter de ravitaillement liquide, la difficulté la plus évidente étant la chaleur. Et j'ai commencé à décompter les tours de lac. 
Au 95ème kilomètre, l'écart annoncé avec la 2ème était de 15'. À ce moment, les officiels m'ont annoncé : "c'est gagné". Mon visage s'est transformé. Je venais de réaliser. 9h07 de course s'étaient écoulées. Les calculs commençaient. Je voulais le 9h39.
Au 99ème, dans la côte, juste avant de dire à Manu que j'allais me débrouiller et qu'il pouvait me laisser pour rejoindre l'arrivée, je lui ai juste dit : "Manu, on a gagné Belvès". La côte se montait désormais toute seule. 
Au virage j'ai entendu Claire et Manu. Claire a commencé à courir à côté de moi en m'encourageant. J'ai été obligée de lui dire d'arrêter car l'émotion me submergeait et les larmes allaient m'empêcher de respirer. 
C'est ensemble que nous avons fini. Le chrono, l'accueil, toute cette foule...
Merci à mon amour de coach, merci à Manu mon suiveur vélo qui sera toujours désormais bien plus dans mon cœur, merci à ma Zabeille-Claire​ dans les bras de laquelle j'ai pleuré, merci à Philippe. 
Un grand bravo à tous les finishers et un respect sincère pour tous les participants, même ceux qui n'ont pu finir. Félicitations à l'organisation sans faille et tellement chaleureuse. 
Oui Belvès c'est tout un mythe. J'ai vaincu le pire et ensemble nous avons gagné Belvès.